Peinture: Rasmus Svarre Hansen
Magtens kartografi
Foucault & Bourdieu
Copenhague: Unge pædagoger, 2006.
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Histoire
Ordre
Langue
Construction
Folie
Sexe
Gouvernement
Biopolitique
Discipline
Liberalisation
Pouvoir
Imaginez un gâteau roulé. Rond, long et plein de confiture. Quand on en coupe un morceau, on dépose le gâteau roulé sur le long côté rond et on coupe une tranche verticalement, de façon à ce que le gâteau ait toujours deux côtés plats. [/]Sur la tranche découpée, on peut voir que la confiture dessine comme une spirale dans le gâteau roulé. [/] On peut aussi mettre le gâteau roulé à la verticale et le couper en long, comme on fendrait une bûche de bois.
On voit alors comment la confiture traverse en continu le gâteau roulé coupé en long et rend les tranches différentes.
Qu’est-ce que l’histoire ? L’histoire signifie que quelque chose a changé. Cela veut dire que toutes les tranches du gâteau roulé de l’histoire ne sont pas identiques. Quand on se trouve à un certain endroit de ce gâteau roulé, on vit alors dans les couloirs, avec les portes et les vides, les murs et les masses fluides qui se sont formés exactement à ce moment. [/] Le biscuit roulé de l’histoire a ceci de particulier que le prochain morceau n’est pas encore fabriqué mais se développe à partir du morceau du présent. La tranche de temps dans laquelle nous vivons aujourd’hui vise la prochaine tranche de temps mais elle n’a pas encore tout à fait décidé comme elle serait. [/] La confiture coule dans une direction d’une manière qui nous permet de nous imaginer comment la prochaine tranche sera, si elle aura la même consistance que la tranche actuelle, [/] mais ce qu’il y a d’étrange, c’est que cette consistance n’est jamais la même.
L’homme est selon Foucault à la fois histoire et biologie. [/] Dire que l’homme est historique, cela veut dire qu’il a été formé et conditionné par le temps dans lequel il vit. L’histoire n’a pas de pâtissier en chef, pourtant chaque moment a sa forme. On appelle cette forme la culture.
Dire que l’homme est biologique, cela veut dire qu’il est aussi formé par l’inventaire biologique dont il est équipé. Le sang circule, les hormones bouillonnent, le cœur bat.
La pensée de Foucault sur la culture est fondée sur le postulat selon lequel la biologie ne vient pas avant l’histoire. Qu’est ce que ça veut dire ? Cela veut dire qu’il n’y a pas d’abord un corps biologique qui serait ensuite formé par l’histoire, le temps, la culture. Bien sûr, les mains s’usent avec l’âge, le vent endurcit le visage. Mais ces mains et ce visage ont toujours été historiques. Il est impossible d’avoir des mains dans lesquelles la culture n’a pas laissé sa trace. [/] Il n’est pas non plus possible de s’imaginer comment des mains auraient été sans l’histoire – comme il est impossible de savoir comment serait un homme sans culture. [/] La biologie et l’histoire sont contemporaines l’une de l’autre.
Si tout ce qui est humain peut être rapporté à l’histoire, cela doit aussi valoir pour les idées sur ce que sont la nature et le passé. Nos idées de la biologie datent du début du 19e siècle, quand la pensée sur l’évolution des espèces est née. [/]
Notre idée du passé est à peu près aussi ancienne. C’est seulement vers 1800 que l’on a commencé à trier les choses en fonction d’un principe chronologique. Auparavant, on rassemblait toutes les choses en fer à un premier endroit, toutes les pelles à un deuxième et toutes momies à un troisième. Après 1800, on a commencé à rassembler les bijoux, les pelles et les masques funéraires de la même époque. [/]
Foucault écrit après 1800 – plus précisément entre 1954 et 1984. Il fait des coupes dans l’histoire à la fois en long et en large. Pour le dire autrement, il analyse l’ordre interne à une période et l’évolution entre les ordres.
Quand on a beaucoup de choses, on peut les ranger ou les ordonner dans un casier. Autrefois, les pharmaciens avaient de nombreux tiroirs dans leurs grands comptoirs. Quand ils recevaient un nouveau médicament, ils le mettaient dans un nouveau tiroir sur lequel il mettaient une étiquette qui décrivait ce qu’il s’y trouvait.
Mais comment faisaient-ils s’ils recevaient un jour plus de médicaments différents qu’ils n’avaient de tiroirs ? Il leur fallait alors mélanger plusieurs tiroirs. Cela permettait peut-être d’économiser de l’espace de rassembler le contenu de plusieurs tiroirs peu remplis dans un seul tiroir. Mais imaginons qu’un nouveau préparateur qui ne savait pas que l’on avait réuni plusieurs tiroirs ait dû trouver un des médicaments : il lui fallait alors regarder dans tous les tiroirs. [/] Sauf si les tiroirs avaient été réunis non pas en réunissant les tiroirs en fonction de la quantité de médicaments mais en rassemblant ce qui allait ensemble. Le préparateur en pharmacie pouvait dans ce cas gagner beaucoup de temps en se demandant : [/] avec quoi va ce médicament ? Il appartient à ce groupe-là, donc il doit être dans ce tiroir-là.
Quand on doit appeler un magasin, on ouvre les pages jaunes. [/] On a tous eu cette sensation que les catégories étaient un peu dépassées. Je veux faire la fête,… « articles de fêtes (détail) »… non, c’est autre chose, « jeans » ne se trouve à aucun endroit… c’est sous quelle rubrique ?… ils pensent comment, ceux qui font les pages jaunes ?… « vêtements pour hommes »… d’accord, je dois me faire couper les cheveux avant de sortir… il n’y a évidemment personne qui coupe les cheveux dans la catégorie « vêtements pour hommes », ce n’est pas non plus un autre nom pour « articles de fête »… « barbier » … non, ça ne s’appelle plus comme ça…. « salons de coiffure ».
Foucault dresse la carte du chemin à parcourir par le préparateur en pharmacie parmi les tiroirs en ayant la même distance par rapport à lui que celle que nous avons par rapport aux pages jaunes. C’est tout de même pénible, cette difficulté à s’y retrouver dans les pages jaunes, c’est comme si ça datait d’une autre époque. C’est par contre assez étrange que les nouveaux préparateurs en pharmacie se débrouillent aussi bien avec des tiroirs qu’ils ne connaissent pas. C’est comme s’ils pensaient de la même manière que le pharmacien. [/]
De là, on peut tirer deux idées : i) c’est comme si on n’ordonnait pas les choses de la même façon à des époques différentes. Pour le dire de façon technique : peut-être que les catégories sont variables historiquement. ii) c’est comme si les gens d’une même époque ordonnaient les choses de la même manière. Dit de manière plus technique : peut être que les catégories ont un ancrage dans l’histoire. [/]
Avec ces deux idées en main, Foucault se déplace dans l’histoire pour faire la carte des façons dont les hommes ont ordonné les choses différemment à différentes époques mais de la même manière à la même époque. Il appelle ce projet Les mots et les choses. [/]
Les sciences ont pour sujet les choses au sens large : l’économie a pour sujet l’argent, la biologie les organismes vivants, la linguistique les mots. Ce ne sont pas des choses de la même manière mais les sciences essaient toutes d’ordonner ces différentes choses et de découvrir des lois ou des règles qui les régissent. [/] Foucault prend du recul, il ne regarde pas les choses mais les façons dont elles sont ordonnées. Il ne s’intéresse pas aux médicaments du pharmacien mais à sa sa manière de pensée quand il ordonne ses médicaments dans des tiroirs : [/] quel est le système dans sa pensée ? demande Foucault.
Comme il n’y a rien avant l’histoire et que rien n’est au-dessus de l’histoire, la question est formulée dans un cadre historique : comment se fait-il qu’il semble naturel au préparateur que les médicaments soient rangés justement de cette manière ? Si on se retourne et qu’on regarde les casiers au cours du temps, on peut voir qu’à un autre moment, il y avait un autre préparateur qui trouvait naturel que son pharmacien ait rangé ses médicaments d’une autre manière.
La thèse de Foucault est que la façon dont les outils sont rangés chez le charpentier, celle dont on classe les étoffes dans un commerce de tissus, dont on ordonne la viande chez un boucher ou dont on s’organise chez le boulanger se ressemblent plus à une époque donnée qu’elles ne ressemblent aux manières d’ordonner les choses adoptées dans le passé dans chacune de ces branches. Pour le dire autrement, un apprenti charpentier s’y retrouvera beaucoup plus facilement dans les tiroirs du pharmacien que parmi les outils d’un charpentier qui vivait deux cents ans auparavant.
(…)